Pourquoi le shopping ne passera pas par lui

 
 

L’homme moderne, en 30 ans, est passé du rustre au dandy sensible. N’empêche, ici et là, demeurent en lui de vilains blocages.

 

1) Il lui manque le background

 

Si Paris ne s’est pas fait en un jour, le mec 2022 ne va pas non plus se transformer en fashionisto d’un coup de baguette magique. Il trimballe derrière lui un tel passif, une si crasse inculture de la fringue ! Certes, l’homme aussi a toujours dû s’habiller. Mais c’est sa mère, sa femme, sa styliste perso qui s’occupaient de la besogne. Résultat : aujourd’hui, avec la meilleure volonté du monde, il lui manque le background : il ne connaît pas les coupes, les matières, les marques, croit que le à poix va avec le rayé, qu’on peut porter un marcel sous une chemise, qu’un cardigan se rentre dans le jean… Pire : il ne connaît pas ses propres tailles ! Même de slip…

 

2) Il a une approche utilitaire

 

Un homme ne fait pas de shopping, il achète des vêtements. La dimension ludique et sportive de trouver le bon gilet ou les sneakers au meilleur prix lui échappe totalement. Sa décision d’aller en boutique n’est jamais motivé par le fun, mais par le besoin. La nécessité. D’ailleurs, il parle d’aller faire un plein, comme s’il comparait son dressing à un frigo vide. Il attend en général le moment ultime : la remarque d’un tiers au boulot ( Oh, ton teeshirt WorldCup 2018, trop vintage !), une attaque de mites, ou un incendie. Il doit alors s’armer du plus grand courage et sacrifier une journée. Il sait qu’il va, en quelques heures, refaire sa garde-robe des trois prochaines années. Au moins.

 

3) Il trouve l’épreuve physique

 

Si c’est pour jouer au foot en salle ou crapuler au lit un dimanche de pluie, il aura l’énergie. Soyez sans crainte. Mais quand il s’agit de fureter entre les rayons, balayer les portants, slalomer entre les clients, le tout sous la chaleur des spots et Rihanna en fond (trop) sonore, il n’y a plus personne. L’activité stationnaire le cuit plus encore qu’une expo sur les enluminures à la BNF. Évidemment, comme son effort n’est soutenu ni par le plaisir ni par le sens à tout ça, les jambes se font vite lourdes. Il va alors pester contre la bêtise consumériste… oubliant son petit plaisir geek lorsqu’il flâne au rayon Écrans Plats de la FNAC. Seul réconfort : la cabine d’essayage. Là, il peut s’asseoir, comater, petite abeille sortie de la ruche.

 

4) Il a une vision tunnel

 

Faites le test : placez une plaquette de beurre au centre du frigo, bien en évidence, puis appelez-le, Chéri, tu peux sortir le beurre, s’il te plaît ? Il ne la trouvera pas, ou alors au prix d’efforts inhumains. L’homme a une vision tunnel : il voit tout droit, vers l’horizon, comme si des jumelles étaient greffées sur son nez. Un atavisme qui remonte à loin… à l’âge des cavernes exactement. Quand il devait chasser le mammouth ou prévenir la tribu du danger. À l’inverse donc, il ne voit pas bien de si près, son œil n’est pas exercé pour balayer du regard, scanner des pantalons en queue leu leu par exemple. La profusion, l’abondance textile, peuvent même créer chez lui un pur malaise. Pauvre petite chose.

 

5) Il se sent objet

 

C’est le revers du point 1 : faute d’être expert, il se sent fragile, gauche, albatros dans un magasin de porcelaines. La nature de la situation augmente donc les risques que la vendeuse s’en mêle, ou que vous choisissiez pour lui. L’horreur. Le voilà dévirilisé. Il doit s’en remettre à l’avis d’un tiers fille, et remontent alors les traumas de l’adolescence où maman l’accompagnait. Maman qui préférait toujours le sage pantalon à pinces au jean déchiré qui fait « voyou ». Les chaussettes à motifs « rigolos » plutôt que les Eden Park triple fil. Depuis, pourtant, l’ado s’est émancipé, il est devenu adulte responsable. Il aimerait le dire, le crier, qu’on le sache. Surtout quand il s’avance en canard vers la glace en pied, et qu’il se sent sur lui tous ces regards maternels. Surtout quand il entend « Ça te fait des fesses plates, mon cœur, essaye celui-ci plutôt ». Il aimerait être un homme, mais il a 15 ans.

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